Une fois par semaine ? Plus, moins ? La fréquence des relations sexuelles reste l’inquiétude numéro un des couples, même très jeunes, déplorent les sexothérapeutes. Ils nous invitent à sortir de cette tyrannie et à remettre de la sensualité dans nos échanges.
« Nous faisons l’amour trois fois par semaine, mais bon, ça ne va pas vraiment… », « C’est votre spécialité, vous devez bien savoir : combien de fois par semaine ou par mois il faudrait faire l’amour, idéalement ? », « Sodomie, échangisme, sex-toys, nous avons tout essayé… », « Une fois par semaine, ce n’est pas assez, hein ? », « Il paraît que moins on fait l’amour, moins on en a envie, c’est vrai ? »… Petit florilège de citations anonymes mais authentiques, extraites des consultations d’Alain Héril et de Florentine d’Aulnois-Wang, tous deux psys. De l’anxiété, du désarroi, de la souffrance, et aussi une attente immense. Celle d’être enfin éclairé et, même mieux, guidé.
« Il y a un décalage énorme entre le discours social dominant sur la sexualité, l’érotisme, et le discours dans l’intimité des couples, constate Alain Héril, psychanalyste et sexothérapeute, qui ne reçoit plus de patients depuis deux ans mais supervise plusieurs thérapeutes. En consultation, la très grande majorité des hommes et des femmes, y compris très jeunes – et cela est nouveau –, se plaint et s’angoisse de l’absence de désir et fait une fixation sur la fréquence des rapports, toujours considérée comme le baromètre de la santé du couple. » Même écho chez Florentine d’Aulnois-Wang, gestalt-thérapeute et thérapeute de couple Imago, qui évoque le syndrome de la comparaison, forcément fantasmée – que sait-on réellement de ce que les autres font ? –, qui mine la confiance en soi et transforme la rencontre sexuelle en « séances de gym volontaire ».
“Ma vie sexuelle est plus grosse que la tienne”
Cette formule, aussi drôle que pertinente, est le titre du livre de Maïa Mazaurette, chroniqueuse « sexo » sur le site du Monde. Elle exprime à la perfection à la fois le désir de réassurance et l’immaturité de celles et ceux qui, soucieux de la norme, se comparent et associent sexualité et quantité. Or, thérapeutes et sexologues constatent que plus se multiplient les sondages et les études sur les fantasmes, préférences et performances des Français, plus, dans le réel, dans l’intimité des alcôves, le désir semble se ratatiner, se réduire comme peau de chagrin. La norme des « trois fois par semaine » se porte bien, mieux en tout cas que les hommes et les femmes qui s’astreignent à la respecter contre vents et marées. « Les couples arrivent en consultation avec des résultats de sondages, des rapports de l’Inserm, des échanges sur les forums… Et ils ne comprennent pas pourquoi, “en faisant tout comme il faut”, ça ne marche pas mieux. D’autres, au contraire, viennent avec une demande précise : “Comment faire pour faire plus l’amour ?” Pas “mieux” : “plus” ! Comme si une fois le score magique de X fois par semaine atteint, on atteindrait en même temps le nirvana érotique, détaille Alain Héril. Mais le problème est que la focalisation sur le normatif et le quantitatif empêche de s’interroger sur le qualitatif, et que, en matière de sexualité, d’érotisme, la qualité est le seul critère qui vaille. » Et cette qualité ne peut être définie que de manière singulière.
« S’il existe un seul principe dans le domaine de l’amour et de la sexualité, c’est ce que je nomme la singularité du désir de chacun, écrit le psychanalyste Jean-Michel Hirt. Il ne peut y avoir de sexualité collective ! C’est à chaque homme et à chaque femme qu’il appartient de s’engager dans la recherche de ce qui va transformer son désir en une véritable histoire à raconter et à partager avec l’autre. Ce qui est en jeu, au plus près de ce désir impérieux qui nous gouverne, c’est l’association du corps et des sens, sans se soucier de “comment on fait”, ni de “ce qui se fait ou pas”. » Cette démarche est celle de la liberté individuelle. Et cette liberté qu’il s’agit de supporter, pour reprendre l’expression de la philosophe Chantal Thomas, doit, pour porter ses fruits, s’affranchir de la tyrannie du « sexe social ». « C’est à la sexualité du chiffre et de la loi du retour sur investissement qu’il faut renoncer, affirme encore Alain Héril. Le fantasme de la check-list, des bonnes cases à cocher, est mortifère pour le désir et pour la relation amoureuse. »
“Ni obligation ni répétition”
Plus on fait l’amour, plus on en a envie : tel est le credo des partisans du sexe volontariste et des amants heureux. Comme toutes les affirmations basées sur une vérité neuroscientifique, l’assertion est à la fois vraie et fausse. « Elle est vraie si l’on a, à chaque rencontre sexuelle, une vraie satisfaction qui va se traduire par une production d’hormones dites du bonheur et qui va conduire le cerveau à réclamer une nouvelle dose. Elle est fausse si la rencontre sexuelle est mécanique, si elle ne procure qu’une décharge de tension sans vrai plaisir », détaille le Dr Sylvain Mimoun, gynécologue, andrologue et psychosomaticien. En revanche, une fois libérés d’une certaine « chronopression », affranchis de la contrainte des rendez-vous auxquels il ne faut pas se soustraire sous peine de faire chavirer son couple, nous pouvons nous donner les moyens de faire affluer à nouveau le désir. Et qui dit moyens, dit temps.
« Se donner le temps de retrouver son souffle, son propre rythme, est essentiel, avance Florentine d’Aulnois-Wang. Je connais des couples magnifiques de complicité et de sensualité qui ne font l’amour qu’une ou deux fois par mois, d’autres moins encore, mais quand ils se rencontrent, la sensualité, l’érotisme sont vraiment là. Leur sexualité est intense et nourrissante, elle les fait rayonner, il n’y a entre eux ni obligation ni répétition. » La thérapeute ajoute qu’elle décèle toujours l’absence ou la présence de « tension érotique » dans les couples au long cours qu’elle rencontre, et que ce n’est pas toujours, tant s’en faut, ceux qui font l’amour le plus souvent qui en dégagent le plus. « C’est cette tension, cette vibration, qui devrait être le vrai repère, et non l’arithmétique », ajoute-t-elle.
“Cultiver la curiosité de l’autre”
Sexologues et thérapeutes de couple sont tous d’accord pour reconnaître que le désir est à chercher et à alimenter en amont de la rencontre sexuelle, surtout chez les couples longue durée. Il naît de la qualité de l’intimité que l’on tisse avec l’autre. « Le désir est sexuel, c’est son essence. Mais il ne débouche pas forcément sur un acte sexuel. Avoir du désir pour l’autre, cela signifie avoir du plaisir à être en sa compagnie, à le sentir physiquement et émotionnellement proche de soi », écrit encore Jean-Michel Hirt, qui insiste également sur la nécessité de « cultiver la curiosité de l’autre ». À savoir : la curiosité de ce qu’il est, de ce qu’il fait, de ce qu’il pense. Vibrer ensemble – via les arts, le sport, la politique… – est aussi un moyen de donner un coup de fouet à la libido du couple. L’intensité de l’émotion agissant comme un aphrodisiaque. « Il semble que toute émotion forte, l’amour n’en étant qu’une parmi d’autres, ait le privilège de stimuler le désir sexuel et de se l’incorporer », écrit le grand psychanalyste américain Erich Fromm (1900-1980) dans L’Art d’aimer (Belfond). Si l’intensité est à rechercher et à favoriser, elle ne fait pas tout. Il faut aussi compter avec notre sensorialité et notre sensibilité. « Remettre de la sensualité dans les échanges quotidiens est fondamental, affirme Alain Héril. Réapprendre aussi à se toucher de manière tendre, sensuelle, s’embrasser aussi. Nombre de couples n’ont plus de sensualité dans leurs gestes quotidiens, ils s’astreignent pourtant à garder une certaine fréquence de rapports sexuels et s’étonnent de ne pas y trouver vraiment de plaisir ! Si l’on reprend du plaisir à se toucher, à se sentir, à se regarder, à se goûter, on se retrouvera par désir, par plaisir. La question anxiogène de la fréquence n’aura plus de sens. » Alain Héril souligne également qu’une fréquence librement choisie, « délestée de l’obligation de normalité, permet à l’imaginaire, donc aux fantasmes de chacun, de se déployer. Ce qui est impossible lorsque l’on “fait du chiffre” pour se rassurer, sur soi et/ou sur son couple ». Pour Jean-Michel Hirt, « le champ érotique s’étend à perte de vue si on cesse de restreindre la portée de ses fantasmes, si on accepte de ne pas constamment se regarder en train de bien faire l’amour, alors on peut jouer de son corps et le laisser jouer toutes sortes de partitions sans jamais se lasser. Le jeu devient un art, l’art des corps et des cœurs ».
Libre comme la libido
Freud a vulgarisé ce mot emprunté au latin – signifiant « sensualité », « envie sexuelle » – pour désigner la pulsion sexuelle. Mais, pour le père de la psychanalyse, la pulsion sexuelle ne se réduit pas à l’acte sexuel. La libido « concerne notre capacité à désirer et à investir notre vie d’un courant vital qui nous maintient, non seulement dans l’envie de sexualité, mais aussi dans un appétit de curiosités concernant ce qui a à voir avec la vie sous toutes ses formes », explique le psychanalyste et sexothérapeute Alain Héril dans Pour développer sa libido (Bussières, “Coaching méditatif”). Conclusion : plus nous sommes gourmands de la vie et des autres, mieux nous nourrissons notre libido. Plus nous alimentons notre désir.
Désir ou excitation ?
La réponse du psychanalyste Jean-Michel Hirt, extraite de son ouvrage Rester amoureux et cultiver le désir (Hachette Pratique, “Les ateliers de Psychologies magazine”), est limpide : « Dans notre culture de consommation et de performance, le désir ne peut être entendu que comme ce qui précède la consommation, comme la faim avant le repas. Or le désir est un regard, un état, une façon d’être au monde et en relation, tandis que l’excitation est l’expression émotionnelle et physiologique d’une partie du désir ramenée à la relation sexuelle. L’excitation fonctionne sur le mode “toujours plus, toujours plus fort”, ce qui crée dépendance et surenchère, tandis que le désir ne fonctionne pas sur commande et ne peut être réduit à aucune formule. »
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